Ouverture de la Conférence de Dakar: « Adhésion du Maroc à la CEDEAO : Fondements, enjeux et perspectives communes»

Permettez-moi en premier lieu de vous exprimer le réel plaisir qui est le mien de me retrouver aujourd’hui à Dakar, au Sénégal, pays frère, pour aborder la question de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, sujet ô combien stratégique et prioritaire pour le Royaume.
Pourquoi ce débat, ici et aujourd’hui ? Parce que la demande d’adhésion du Maroc à la CEDEAO est entrée dans une nouvelle phase depuis le mois de décembre. Pour rappel, le 52ème sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO d’Abuja avait décidé de mettre en place « un comité de Chefs d’Etat et de Gouvernement composé de la République Togolaise, de la République de Côte d’Ivoire, de la République du Ghana, de la République de Guinée et la République Fédérale du Nigeria pour adopter les termes de références et superviser l’étude approfondie des implications » de l’adhésion du Maroc. Cette décision faisait suite à l’accord de principe exprimé par le précédent sommet (51ème) de Monrovia.
Refus d’une adhésion « sans concertations » selon les uns, pause salutaire pour mieux évaluer les conséquences d’un élargissement, jusqu’ici surtout discuté dans les coulisses, pour les autres, le débat est permis et même souhaitable. Les acteurs marocains – secteur privé, Think Tanks, universitaires – doivent y prendre part sans attendre d’être appelés à prendre position.
Cette implication de toutes les bonnes volontés est la seule démarche susceptible de répondre aux inquiétudes et aux interrogations, légitimes comme en tous pareils cas, qui se sont exprimées, au sein des pays membres de la CEDEAO, après la formalisation de la candidature marocaine.
En décembre, dans une tribune, je soulignais à quel point « il est normal, voire sain pour toutes les parties, que l’adhésion du Maroc, puissance économique africaine et premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, dont le dynamisme des entreprises et notamment des institutions bancaires et financières est une réalité dans cette région, suscite des interrogations, donc des inquiétudes, et soit soumise à un cadre de négociations bien défini ».
Les réserves exprimées par une variété d’acteurs étaient non seulement prévisibles. Elles sont surtout légitimes, si on écarte quelques raccourcis trop faciles ou maladresses blessantes entendues ici ou là. Dans ce type de démarches, les faits solidement établis ne dominent pas toujours le débat public, les perceptions peuvent prendre le dessus. Il n’y a pas non plus de vérités inébranlables, mais parfois des divergences d’options politiques et économiques qui doivent être comprises.
Le choix du Sénégal pour abriter cette première rencontre était tout à fait naturel, car l’’adhésion du Maroc se fera avec le Sénégal ou ne se fera pas, et ne pourra se faire au détriment du Sénégal.
Les perceptions négatives, les craintes et les réticences doivent être prises pour ce qu’elles sont : des arguments à écouter, d’abord, et à discuter, dans un deuxième temps. C’est pourquoi l’objectif de cette Conférence de Dakar est double. Premièrement, il s’agit de favoriser l’écoute constructive et réciproque. Deuxièmement, de lever les appréhensions et d’identifier les sujets de convergences et d’appropriation commune.
Le choix du Sénégal pour abriter cette première rencontre était tout à fait naturel, car l’’adhésion du Maroc se fera avec le Sénégal ou ne se fera pas, et ne pourra se faire au détriment du Sénégal.
La demande d’adhésion du Royaume ne constitue, en aucun cas, le lancement d’une quelconque « OPA » sur la CEDEAO. Il ne s’agit pas du tout d’un acte « hégémonique », encore moins « impérialiste » comme le prétendent, malheureusement, certains, ou d’une volonté de s’imposer « par le haut », sans écoute attentive. Le Maroc ne cherche, aucunement, à perturber la « marche » intégrationniste réussie ouest-africaine, ni à la dénaturer et, encore moins, à la déséquilibrer.
Bien au contraire, cette demande correspond à une volonté marocaine d’enrichissement mutuel, d’équilibre consolidé et de synergie collective, ce qui lui confère un objectif fondamentalement stratégique pour les deux parties et « gagnant-gagnant ».
Pourquoi ai-je souhaité engager l’Institut Amadeus dans ce dialogue ? Cela me parait une continuité naturelle avec ce que ce Think-Tank réalise depuis, plus d’une décennie. Depuis dix ans, le Forum MEDays, organisé chaque année à Tanger, s’est imposé, pour de nombreux observateurs africains, comme le « Davos du Sud ». Dès la première édition nous avons su écouter les partenaires africains, inquiets d’ailleurs de ce qu’une Union Pour la Méditerranée ne laisse l’Afrique subsaharienne au ban des questions de coopération et développement. Depuis, le Forum n’a eu de cesse d’accueillir et de donner de plus en plus de place aux leaders africains et aux voix des sociétés africaines dans toutes leurs composantes.
Du regretté Morgan Tsvangirai en 2008 à Paul Kagamé en 2015, en passant par le malien Dioncounda Traoré en 2015, jusqu’au président Alpha Condé en 2017, le Forum a été honoré de la présence de grands leaders du continent et a accueilli d’innombrables délégations des pays amis.
Nous avons essayé de donner corps à cet axe stratégique Sud-Sud de notre diplomatie, non pas d’ailleurs au bénéfice exclusif du Royaume mais dans un esprit de partage multilatéral afin de répondre aux problématiques communes. Au cours des dix dernières années, le Forum MEDays a produit de très nombreuses recommandations portant directement sur les intérêts du Maroc et également sur ceux de nos partenaires du continent africain ; c’est cette expérience et cette crédibilité que nous souhaitons mettre au service d’un nouveau pas stratégique dans l’ordonnancement des relations entre le Maroc et son continent d’appartenance.
Un constat nous motive : la mondialisation économique nécessite de mettre en œuvre des politiques de stimulation de l’activité économique et de l’entreprenariat à une échelle qui dépasse les frontières des Etats ; c’est solidairement que l’Europe a construit un espace de paix et de prospérité, c’est également dans une forme d’intégration économique des chaînes de valeur que l’Asie a connu son envol économique. L’Afrique au sein de l’Union Africaine mais aussi au sein des organisations sous-régionales est en train de construire son modèle en tenant compte des contraintes et des contingences de dialogues politiques qui lui sont propres.
Depuis la réintégration du Maroc à l’Union Africaine, mais aussi avec la signature, la semaine dernière à Kigali, du projet d’un libre échange africain, nos discussions convergeront nécessairement autour de la meilleure coopération possible pour soutenir nos modèles développement. Elles s’inscriront dans l’esprit de la Vision continentale de SM le Roi Mohammed VI, dont le fil rouge « l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique », en est le principal leitmotiv !
Le dialogue autour de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO servira cette discussion globale et devra avoir pour exigence la clarification de nos stratégies de développement au bénéfice de l’emploi, des revenus et de la productivité agricoles, du développement social et culturel, de la résilience climatique et de la compétitivité économique. Il est le point de départ d’une nouvelle trajectoire de nos relations africaines mais aussi des intégrations de l’Afrique de l’Ouest à la mondialisation. Plus unis, nous serons chacun plus fort.