LA GESTION DE CRISE DU COVID-19, QUELS ENSEIGNEMENTS PEUT-ON EN TIRER ?

L’avènement imprévu du Covid-19 a mis à l’arrêt l’ensemble des activités sportives, culturelles, économiques et politiques des pays et donc, en conséquence, cela a contraint les gouvernements à se confronter à une crise sans précédent.
Cette pandémie est, en effet, une évaluation des États sur les choix des politiques entreprises depuis des décennies, sur leur capacité de réaction, de flexibilité, mais aussi sur le niveau de responsabilisation exprimée par leur société civile.
De l’Asie pacifique, passant par le Moyen-Orient, jusqu’en Occident et sans oublier le continent Noir, les résultats de la gestion de cette crise sont différents d’une région à une autre. Les constats actuels révèlent d’une manière unanime que les pays d’Asie de l’Est ont démontré une efficacité exemplaire, et cela contrairement aux pays d’Europe et des États-Unis. Pourquoi ? Quelles sont les différences constatées ? Quels ont été les facteurs clés de réussite pour les uns, et les facteurs clés d’échecs pour les autres ?
- – Valeurs du groupe et de la communauté
L’un des points qui ont distingué la réussite des pays asiatiques dans la gestion de cette crise du Covid-19 est incontestablement l’implication et la capacité de la société civile à accepter et appliquer les consignes les plus strictes quant au confinement. Et cela émane historiquement et profondément sur un corpus de principes, enseignés depuis des siècles par leurs maîtres penseurs, orientés vers le sens de la famille, à l’appartenance nationale et finalement le vouloir de sacrifier le « Je » pour l’intérêt du « Nous ».
À titre d’exemple, le confucianisme est une école de pensée considérée comme un des piliers de la civilisation Chinoise, au côté du Taoïsme, du bouddhisme et du marxisme, et qui met en effet l’accent sur le respect de la hiérarchie, à savoir, du père, de l’enseignant, du leader d’une nation, et donc sur la nécessité d’adopter une posture d’écoute à celui qui nous devance tant par l’âge que par l’expérience et le statut.
En revanche, la civilisation occidentale est bâtie sur le socle de la liberté en premier abord. Cette valeur quai-sacrée, et qui remonte à l’histoire sur la contestation et la rébellion du peuple contre les gouvernants est une des sources et explications des difficultés grandissantes dont font face les leaders des pays Européens et Nord-Américains dans le maintien et respect des règles de confinement.
Les manifestations de plus d’un millier de personnes rassemblées le 20 avril à Harrisburg, la capitale de Pennsylvanie, au nom des libertés individuelles pour contester contre le confinement est un révélateur des conséquences d’une nation bâtie sur la sacralisation de la liberté individuelle et cela au détriment de la conscience collective.
L’enseignement que nous pouvons tirer est incontestablement l’importance de baser l’éducation des jeunes sur les fondamentaux de groupe afin de solidifier le socle de l’unité et de la solidarité.
Car en tout état de cause, cela représenterait une immunité et prédisposition au combat de tout ennemi, dans toutes ses formes, qui pourrait fractionner notre nation.
Le défi du Maroc réside donc dans le maintien et la préservation des valeurs historiques et traditionnelles tout en s’alignant aux grandes lignées du modernisme. Ce n’est pas antinomique, c’est complémentaire. Car, cet élan de solidarité exprimée par l’ensemble des couches de la société marocaine émane en grande partie par les valeurs de l’Islam qui ne cesse d’insister sur la nécessité d’aider son prochain.
S’ouvrir aux valeurs du progressisme, oui, mais pas au détriment de l’identité ancestrale de notre nation.
- – Valorisation des métiers de la vie.
S’il y a une chose à laquelle le Covid-19 a créé une unanimité parmi toutes les tranches de la population, c’est bel et bien le rôle pionnier des forces de l’ordre, du corps médical et de la recherche scientifique dans cette lutte sans merci contre cette pandémie.
Le Covid-19 a mis en exergue les conséquences néfastes des politiques d’austérité établies par plusieurs pays dans le monde dans la réduction de leurs dépenses liées à la santé, l’éducation et la recherche scientifique.
Le cas de la Grande-Bretagne est un cas d’école. D’après une étude menée par Elias Mossialos, professeur de politique de santé à la London School of Economics, « Le NHS souffre d’un sous-financement reconnu depuis 2010, qui a freiné sa réponse au coronavirus ». Il ajoute que « budget du NHS représente 7,6 % du PIB, soit à peu près la même chose qu’en 2012 alors que la population et le coût des traitements ont augmenté ». Le budget de la santé, pour faire face à ses défis, devait connaître une augmentation de 4% annuellement. Or, il ne s’élargissait que de 1,5%, précise Elias Mossialos.
Ces plans d’austérités appliqués en Europe se sont traduits par un nombre insuffisants de lits : 2,5 en moyenne au Royaume-Uni pour 1 000 personnes, contre six pour 1 000 en France et huit pour 1 000 en Allemagne, selon des chiffres de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Cela n’a pas été surprenant, finalement, le débordement et l’incapacité des infrastructures sanitaires à accueillir tous les malades liés au Covid-19. Et la sélection des patients en salle de réanimation sur la base de la probabilité de survie entre les malades, en interdisant de soigner ceux de plus de 80 ans en Italie notamment, est le résultat de cette austérité criminelle.
Au nom du rééquilibrage budgétaire, affliger une réduction des dépenses pour des secteurs représentant la colonne vertébrale d’une nation fut une aberration. Ces États étaient convaincus que le libéralisme économique était la meilleure façon pour assurer la prospérité. Cela signifiait le désengagement de pouvoir exécutif sur les services sociaux, qui sont les piliers d’une nation. En France, cette politique de libéralisme économique date de 1983, gauche comme droite, les responsables ont épousé la théorie néo-libérale. Convaincus que seule une classe de capitaliste puissante est en mesure de favoriser une économie forte.
Et ce Covid-19 sera, espérant, une réévaluation des priorités de l’État. D’abord, les métiers qui redorent le blason d’une nation forte et souveraine, à savoir, la santé, l’éducation, la recherche scientifique et la sécurité, et en second lieu, les activités de divertissement, comme les festivals, à titre d’exemple. Le retour de l’État providence et paternaliste pourrait être à des nouveaux modèles potentiellement adoptés après le Covid-19
- – L’avancement dans les domaines du numérique et de la digitalisation du système de surveillance.
L’éternel débat sur l’équation entre les deux variables : Liberté et sécurité revient au cœur des réflexions avec cette pandémie du Covid-19.
En effet, la numérisation du système de surveillance menant à un accès privilégié aux données personnelles des individus constituant les bases fondamentales dans l’analyse, catégorisation des différentes souches de la société et donc dans le contrôle et anticipation des potentiels troubles, comme les crimes ou les attentats a longtemps suscité une réticence auprès des décideurs occidentaux, mais paradoxalement, fut adopté entièrement de la part des gouvernements asiatiques (Corée du Sud, Japon, République Populaire de Chine, Singapour).
Et d’une manière totalement objective, leur avancée dans la technologie numérique et dans leur système de contrôle ultra-algorithmé, avec la présence des caméras de surveillance à chaque coin de la rue ont été des outils plus qu’efficaces dans l’application des mesures de confinement.
À titre d’exemple, l’application créée, par le groupe Alibaba, pour détecter les cas malades via QR Code, pour autoriser l’accès à chaque immeuble et lieu de commerce, est l’illustration des bienfaits de la technologie et de la numérisation dans la gestion du Covid-19.
Car, en tout état de cause, l’intégration de la numérisation dans les gestions d’un État a un double effet : Elle augmente le niveau d’efficacité dans l’anticipation et réduit les dépenses de l’état dans le recrutement de ressources humaines.
Mais cela n’en demeure pas moins, qu’il est dans la souveraineté d’un État de choisir, comme le Maroc de choisir le modèle qui puisse lui correspondre et cela en prenant en considération plusieurs facteurs dont ceux, de la volonté du peuple et de l’intérêt supranational du pays. Un moratoire sur l’installation d’un système de contrôle par les caméras de surveillance au Maroc se doit être au centre des réflexions pour le nouveau modèle de développement.
- – L’indépendance industrielle :
La politique de la délocalisation forcée des unités industrielles dans le pays disposant d’une compétitivité à faible coût ont certes renforcé les liens de la mondialisation, mais ont également rendu certains pays fortement dépendants à l’importation des produits manufacturés. Ce constat a élargi la Supply Chain industrielle et aussi, en éloignant la distance entre le consommateur final et le lieu de la production.
Dès lors que la Chine avait été contrainte d’arrêter ses usines pour urgence sanitaire, une forte crise de l’offre s’est répandue dans le monde. Ce qui a révélé plusieurs interrogations sur l’intérêt de relocaliser l’industrie dans des pays avoisinant les marchés de consommateurs.
Cette fuite manufacturière vers les pays émergents ont fait perdre à certaines puissances mondiales, dont notamment, l’Europe et les États-Unis, de leur souveraineté économique, au point qu’elles ne peuvent pas s’auto-suffire en masques médicaux sur la base de la production nationale.
Selon une note rédigée le 14 avril par les services d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, le besoin en masques chirurgicaux et FFP2 en France s’élèvent à 70 millions d’unités chaque semaine pour les soignants et les personnels en Ehpad. Or, Bercy estime que la production française pourrait s’élever « à 11,4 millions de masques chirurgicaux et 6,8 millions de FFP2 ».
Cette incapacité de juxtaposer la production avec la demande est la conséquence et le résultat de cette délocalisation effrénée ayant vidé certains pays comme la France, leurs capacités industrielles d’autosuffisance.
Ce constat doit mener les politiques à une réflexion sur l’urgence de mener une politique d’industrialisation, en valorisant les compétences locales leur disposant d’une plateforme d’émancipation économique. La souveraineté nationale passe inéluctablement d’une autosuffisance tant industrielle qu’agricole.